Cette année notre ami récidive avec l'article ci-dessous
Pour ne pas inquiéter d' éventuels jeunes intéressés par les Chantiers de Restauration, rappelons que ce souvenir date de juillet 1966 et qu' il est largement romancé .
-
LA CHAPELLE LASSON
- En voyant la pancarte, j‘ai
compris ma bévue. La chapelle Lasson n‘était pas le nom d‘une chapelle le long
d‘ un ruisseau ou à la lisière d‘un bois comme on en voit sur les cartes postales,
mais le nom du village que nous traversions alors. Dans le pays, toujours pas
de chapelle. Il aura fallu le traverser, pour découvrir l‘édifice posé sur son
écrin de blé. Le jeune abbé Paul jubilait en pointant son doigt, tenant de l‘autre main le volant
:
“ On y est. Voici l‘ église de La Chapelle-Lasson. “
Il eut vite fait d‘entraîner
la bande d‘ados dans ses pas, à travers les tombes du cimetière. - “
“Cette église, en craie, a été construite au XII ème
siècle “
“La même
craie qu’on use sur le tableau noir de l‘école ?...Comment çà peut tenir sur un
édifice aussi longtemps ?... “
La question fusait de
Jacqueline qui passait pour une bonne élève. –
“En
Champagne, on trouve beaucoup de constructions en craie. C’est le matériau de
la Champagne. Notre sous-sol ?... de la
craie. Et vous verrez, on la travaille facilement avec des outils à bois.
Seules nécessités, il faut que le toit soit entretenu tout le long des siècles
successifs et que l’humidité du sol ne remonte pas dans les murs ... Cette
église a 800 ans... et elle est toujours debout. “
On venait de longer le
chevet, l‘un des transepts, puis la nef. On se dirigeait vers l‘entrée. Paul
ouvrit la porte grise.
“Vous
pouvez constater que la nef a été réduite à son tiers...
C‘est le XIX ème siècle qui nous a laissé son
empreinte... “
Nous découvrons
l‘intérieur de l‘édifice. Hormis un échafaudage métallique qui occupe le fond,
c‘est la blancheur immaculée du lieu qui nous émerveille . ...
Admiration ... “ Wouah
! ... la belle église ... “
Et Paul. “NON!... C‘ est horrible!... Ils ont raccourci la nef
et en plus, ils ont recouvert toutes les parties restantes du XII ème siècle
par ce plâtre uniforme...“ J‘ai osé: “
... C‘ est de la craie bien taillée en grands blocs réguliers... On voit les
joints . “
“ Ce sont de faux joints dessinés pour tromper
votre œil... “
Un peu agacé par notre
ignorance, Paul nous tire vers le milieu du bâtiment, jusqu‘ à l‘aplomb de l‘échafaudage.
Il nous montre les dégâts sur le transept nord... Des taches brunes énormes ... parfois vertes
... il y a même comme une dégoulinade noire suintant qui suit une colonnade...
Un bon mètre carré de plâtre est déjà tombé. Grâce à un rayon du soleil qui
passe à ce moment-là à travers un vitrail, on peut faire la différence entre le
mur encore recouvert et la partie dégagée de sa gangue. Côté plâtre... complètement
insipide...les couleurs du vitrail s‘affadissent comme sur un meuble IKEA ...
Côté mur XII ème ... des blocs de craie, facilement transportables, sont
jointoyés par un fin mortier de chaux. Les rayons lumineux rasants mettent en
valeur les traces d‘outils des maçons du Moyen-âge ... On les voit encore ...
Là , Paul n‘a plus à
nous convaincre. Dès demain, nous dégagerons ce plâtre du XIX ème siècle et
ainsi sauver l‘église de l’humidité qui la vouait à un écroulement certain.
Bientôt, nous pourrons découvrir sa pureté initiale.
Toute une collection
de piolets, de ciseaux à bois, de brosses diverses nous attendait au sol. Il y
avait aussi un bon nombre de casques. On s‘est réparti à l‘intérieur de l‘échafaudage
assez impressionnant. Paul nous a précisé que les clefs de voûte dominaient l’église
à 9 mètres. Les plus valeureux ont piqueté le plâtre sous la pente de l’ogive.
Ils recevaient des éclats dans les yeux, mais au regard des filles, se prenaient
pour des Michel-Ange peignant la Sixtine. Le poste le plus facile était,
certes, au sol entre les pieds métalliques de l‘échafaudage, mais il y avait
intérêt à porter le casque car, à tout moment, on pouvait recevoir une sacrée
plaque de plâtre sur la tête. Dans les étages intermédiaires... çà piquetait
... çà brossait à tout-va dans un bon entrain. Le XIX ème fade laissait place
au XII ème épuré. Au fur et à mesure de la découverte de l‘édifice original,
Paul nous faisait partager son exaltation quant au Gothique Primitif ...
passage obligé du Roman à quatre siècles de Gothique.
Pour revenir sur la
réalité matérielle du décapage, il fallut résoudre un problème ... L‘
échafaudage n‘atteignait pas les fenêtres latérales du cœur que Paul appelait “
lancettes “. Alors forts de nos premiers cours de mécanique, nous trouvâmes la
solution ... La Technique du Contrepoids
La Technique du
Contrepoids ... c‘est tout simple ... à hauteur de la lancette à décaper, on
place une planche, en surplomb, dirigée vers le vitrail et dont l’autre bout
rentre dans l’échafaudage. Si quelqu’un s’assoit là...un autre peut travailler
debout à l’intérieur de la lancette ...
fastoche!...
Allez savoir pourquoi?
Le plus souvent une fille s’asseyait sur la planche, côté échafaudage et un
garçon, un peu mariole, décapait le plâtre dans la lancette.
Mécaniquement, il suffisait
de maintenir l‘équilibre “ pas
trop sécurité! hein ? ...” Sur le plan relationnel, çà pouvait donner des
informations sur les couples qui se formaient de chaque côté de la planche ...
une affinité certainement ... La blague y étant bannie, il fallait avoir une
grande confiance en son binôme.
et, vite fait,
je me suis retrouvé sur le plongeoir. De mon piolet, je me suis mis à taper ...
taper ... taper le plâtre. Une plaque énorme se détacha et me déséquilibra...
J‘eus le réflexe d‘appuyer mon piolet sur une partie métallique du vitrail et éviter, ainsi, ma
chute...
”
Heureusement que ce bout de ferraille était là ... j‘ ai failli me prendre une
gamelle et casser ce vitrail. De toute façon, tôt ou tard, on va les dégager tous
ces moches vitraux ... ils ne sont pas du XII ème !...”
Et Charlotte de me répondre, affligée:
“ Pierre, tu es trop nul ... ce bout de
ferraille est une barlotière ...
elle tient les panneaux du vitrail entre
eux et les fixe dans la maçonnerie ... Les autres tiges, plus fines sont les vergettes ... elles assurent la
rigidité du vitrail. Puisque tu as le nez dessus ... profites-en pour le
regarder, ce vitrail ... Vois la finesse de son exécution ... tous ces verres de
couleur qui constituent les habits et reliés par des plombs ... les ombres
posées délicatement en grisaille avec un pinceau aux poils de blaireau ... les visages
expressifs, auréolés d’un jaune vif au sel d’argent ...
et une sacrée chimie pour réaliser le damier du fond, losanges bleus bordés de
rouge ... Pierre ... tu n’es qu’un iconoclaste! ... “
“ ...et toi une bachi-bouzouk ...” lui claquai-je, ne comprenant pas son
insulte ... ni la mienne d‘ ailleurs.
“ Mais comment sais-tu tout çà ?... “
“En 3ème, j‘ai fait un exposé sur les vitraux
... Ma cousine habitait un village dans le sud de la Marne, où il y avait un
verrier ... j‘ ai profité des vacances de Pâques pour visiter son atelier. Il
m‘a tout expliqué et j ai eu une bonne note. ”
Paul avait suivi notre
échange ... Rien ne lui échappait:
“ Ecoute Charlotte,
Pierre ... et arrête de vouloir tout casser ... ce vitrail représente -
La remise des
clefs à Pierre
- ... que Pierre t‘ ouvre les
portes du Savoir ... Pierre ... “
L‘Abbé parlait ainsi. Il avait
souvent un côté énigmatique...
Dans le sud de la
Marne, il y avait effectivement un verrier à Heilz le Maurupt. Il y a un an,
quand j‘ai vu le vitrail abimé par la chute de la voûte, j‘ai repensé à cette
histoire. J’ai un peu brodé en vous la
racontant.
Mais ... vrai de vrai ... la belle Charlotte s’étant assise
sur la planche pour faire mon contrepoids ... je me suis étiré sur les orteils afin
d’atteindre le sommet de la lancette. Bienveillante, elle m’a dit:
“...Tu
vas tomber... Pierre ... reviens sur l’échafaudage ... on va placer la planche
autrement ...“
Pierre Lesjean-
Février 2018
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